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Esprit Civique
L'éthique comme gouvernail
Il ne peut y avoir de récit politique commun dans une langue morte. L'engagement exige un « déchiffrement du monde » et des balises anthropologiques : les liens indéfectibles entre le bien commun et l'égale dignité de chaque personne, entre la responsabilité pour autrui et la justice.
Esprit civique, cercle politique d'inspiration personnaliste et fidèle aux valeurs de la gauche et plus largement aux valeurs républicaines, propose 12 balises pour contribuer aux débats de la campagne présidentielle. Notre conviction est que seul un nouvel humanisme peut être à la hauteur des dangers auxquels nous exposent les dérives du libéralisme, d'un individualisme sans limite et d'une radicalisation qui épouse les figures du fanatisme.
Rarement depuis quarante ans, notre société n'est apparue aussi fragmentée. C'est un paradoxe si l'on songe aux efforts qui ont été faits pour amener depuis 5 ans plus d'égalité des chances, moins de stigmatisation, plus d'équité fiscale... Cette division n'est pas tant la conséquence de mesures ou de programmes que celle d'une attitude générale de responsables qui ne considèrent nos concitoyens que comme des individus titulaires de droits mais en aucun cas comme des personnes dont il est possible de recevoir, d'attendre une contribution à la vie sociale, que ce soit dans les lieux de formation, la vie professionnelle, la vie démocratique. Nos balises visent à éviter l'écueil, pour la gauche et notre pays, d'une rupture tant avec les milieux populaires qu'avec les « innovateurs » de la société civile.
Nul n'est trop pauvre pour participer à l'effort commun… Cette conviction se veut proprement opposable aux tentations de l'autoritarisme en politique qui hantent l'imaginaire à droite comme à gauche.
Agir pour un renouveau civique, penser un nouvel âge de la mondialisation et donner crédit à la parole publique sont les conditions sine qua non de la puissance publique au 21ème siècle. L'éthique n'est pas un fanion en haut du mât, c'est le gouvernail de l'action politique.
- Nul n'est trop pauvre pour participer à l'effort commun
- Le travail comme une oeuvre
- La personne au coeur des révolutions technologiques
- Une limite décente aux écarts de richesse
- Des indicateurs clairs pour des décisions justes
- Des investissements au long cours
- L'entreprise, acteur politique du 21ème siècle
- Un « nouvel âge » de la mondialisation
- Une Europe pionnière en Méditerranée
- Un tiers-lieu pour grandir
- Des espaces et des temps de gratuité
- Le spirituel antidote au fanatisme
Balise : Dispositif destiné à guider, à signaler un danger ou à délimiter une route.
1- Nul n'est trop pauvre pour participer à l'effort commun
Abstention et vote sanction signent un désaveu populaire de notre démocratie. Celle-ci n'est vivante que lorsqu'elle donne la possibilité à chacun de participer à la vie publique et bannit toutes formes d'humiliation. L'égalité dans l'exercice citoyen est un principe éthique, nul ne peut en être exclu au nom de la raison technique et économique. L'engagement politique gagnerait à être conçu avec et non pour les exclus. Cette participation des plus pauvres à l'effort commun, des moins visibles au débat politique, est non seulement une question de dignité mais une chance pour l'ensemble de la société. L'Etat de droit est plus fort lorsqu'il suscite et bénéficie en retour de la vitalité citoyenne.2- Le travail comme une oeuvre
La privation de travail n'est pas seulement celle d'une ressource matérielle mais la perte d'une création de valeur pour soi et pour les autres, pour l'oeuvre commune. Récit d'un jour, récit d'une vie, le travail est constitutif de notre dignité intime et sociale. C'est pour cette raison profonde qu'une allocation - fut elle universelle - ne saurait totalement compenser le gâchis humain que représente le chômage en tant que « désoeuvrement » pour des millions de personnes. L'Etat et le marché ne peuvent seuls apporter de solutions magiques mais il nous appartient d'expérimenter des voies nouvelles en vue d'une « société de pleine activité ». Il faut repartir de ce qu'Amartya Sen appelle la « capabilité », les compétences qui sont en chaque personne.3- La personne au coeur des révolutions technologiques
Il existe deux grands écueils autour des perspectives scientifiques et technologiques de « la transition fulgurante » : le post humanisme ou l'obscurantisme. Nous proposons une révolution copernicienne : mettre ces conquêtes de l'intelligence au service d'un nouvel humanisme. Un débat éclairé serein doit permettre de faire la part des choses : des limites pour interdire ce qui est contraire à notre conception commune de la dignité humaine et une vaste entreprise de maîtrise des usages pour ce qui est reconnu comme un progrès. C'est le cas par exemple d'une pratique civilisée de la communication numérique ou de la protection du droit du vivant qui peut trouver sa place à l'échelle européenne.4- Une limite décente aux écarts de richesse
Les inégalités de revenus sont devenues telles qu'elles meurtrissent le sentiment d'appartenance à la communauté de l'entreprise comme à celle de la Nation. Le mérite et la responsabilité peuvent être reconnus de façon juste sans céder à l'appât du gain. La démesure des richesses génère par ailleurs des modes de vie incompatibles avec un développement soutenable. Un écart maximum de 1 à 12 est respectueux du travail des uns et des autres. Alors qu'une certaine indécence nourrit en retour l'indolence civique, nous sommes à contrario convaincus qu'une société plus équitable est une société plus créative.5- Des indicateurs clairs pour des décisions justes
Une boussole commune doit nous permettre d'évaluer l'impact de nos décisions publiques pour aujourd'hui et demain, pour notre pays et au-delà de nos frontières. Les indicateurs standards ne prennent pas en compte les « externalités » de la croissance actuelle. Or ces dernières sont désormais reconnues comme capitales pour la survie même de notre écosystème planétaire. Les indicateurs de développement humain ne sont pas un « supplément d'âme » facultatif, ils prennent la pleine mesure d'un nouveau monde économique, ils encouragent les comportements responsables et valorisent l'aménagement des territoires.6- Des investissements au long cours
Les dérives du libéralisme ont dissocié rémunération du capital et vision à moyen et long terme. L'Etat et l'Europe pourraient apporter leur garantie, sans incidence sur la dette publique, à des investissements de long terme au service des biens communs les plus essentiels : l'eau, l'air, l'énergie, la nourriture, l'éducation, la mobilité… Les transitions engagées dans ces secteurs stratégiques sont bénéfiques à moyen terme et réductrices d'inégalités territoriales et sociales. L'exemple de la santé est le plus significatif. Investir dans la prévention - moins de 5 % des dépenses actuelles - est non seulement éthique mais décisif pour faire vivre durablement notre sécurité sociale.7- L'entreprise, acteur politique du 21ème siècle
L'entreprise, lieu de l'investissement productif, communauté de travail et créatrice de richesses à destination de la société, doit être considérée comme une entité de nature politique. Sa responsabilité sociale et environnementale nécessite de modifier l'article 1833 du Code civil. La valeur de l'entreprise réside dans ses actifs et ses constituants humains : travailleurs, actionnaires, dirigeants, consommateurs et donneurs d'ordre, tous sujets éthiques, capables d'un discernement en vue de l'intérêt général. La représentation des salariés dans les instances de gouvernance participe de cette conversion.8- Un « nouvel âge » de la mondialisation
Bâtir de nouveaux droits dans la mondialisation doit être conçu non comme un recul mais une extension de l'Etat de droit. C'est à la fois résister à des formes renouvelées de l'arbitraire et établir des limites pour la survie de notre maison commune. C'est vrai de la lutte contre l'optimisation fiscale, l'esclavage moderne, l'accaparement des terres et les écocides. La France avec l'Europe doivent tracer le chemin : devoir de vigilance des multinationales pour les droits humains et environnementaux, justice fiscale, nouvelle génération de traités internationaux incluant l'écologie. Face aux mythologies consuméristes et financières, la parole publique doit affirmer qu'au bout du monde, comme au bout de la rue « la vie humaine vaut plus que tout l'or du monde ».9- Une Europe pionnière en Méditerranée
La tragédie des migrants est celle d'une Europe incapable, à ce jour, de penser et d'agir en commun. Sa propre expérience du tragique de l'Histoire et son héritage humaniste l'oblige. Plus que jamais, face au changement de dimension de cet enjeu, il manque aujourd'hui la vision à long terme d'un Schuman pour écrire le récit de la Méditerranée comme une « nouvelle frontière » pour la paix. Face aux naufrages humains, la réponse européenne ne peut pas être exclusivement militaire et humanitaire : un espace de coopération est à réinventer pour réduire la misère, penser et agir dans un esprit de co-développement avec l'Afrique. Porteuse d'une vision alternative à une mondialisation vécue comme un déracinement, l'Europe est la clé d'une refondation de la puissance publique au 21ème siècle.10- Un tiers-lieu pour grandir
Une nouvelle éducation populaire est une réponse forte au sentiment d' « invisibilité » vécu par ceux qui se vivent en périphérie de la modernité. Nous devons refonder un tiers lieu à côté des familles et de l'école de la République. Lieu d'apprentissage de la responsabilité pour autrui et du déchiffrement du monde, il est la condition du renouvellement de l'engagement politique. Vivre ensemble demande des rituels de passage communs. Ils sont un lien qui nous libère du risque de devoir tout perdre à chaque génération. Expression de la gratitude à l'égard de nos multiples héritages, ils nous inscrivent dans une filiation sans nous y enfermer : devenir Français, c'est être initié au caractère universel de nos valeurs et à l'esprit critique. Un temps donné pendant sa jeunesse au service des autres dans la gratuité et la mixité est une formidable occasion de former une génération civique.11- Des espaces et des temps de gratuité
Il y a les choses qui ont un prix et celles qui n'en ont pas ! Il est urgent de poser des limites pour permette une vie intime et publique affranchie de l'idéologie consumériste. Fragiliser un jour de respiration commun est un recul de ce qui fut une conquête profondément moderne et humaniste. Plutôt qu'un appauvrissement collectif qui brise du lien sans créer de biens, le vrai progrès serait d'investir ces temps libres et un espace public non assujetti à une logique marchande. Le lien à la nature, à la culture, aux autres, à une vie spirituelle, n'est pas un privilège mais le sel de la vie ! Il est de même capital de penser un modèle pluraliste de financement des médias garant d'une visée éthique de l'information.12- Le spirituel antidote au fanatisme
Le fanatisme apparaît plus que jamais comme le miroir d'une question évacuée de l'espace public au profit d'une marchandisation « sans foi, ni loi » : celle du sens. La politique est source d'espérance lorsqu'elle fait de cette quête commune de la vérité, l'inspiration de ses choix. Nous croyons à une laïcité vécue comme un cadre et un creuset. Un cadre protecteur des libertés individuelles et de l'espace public. Un creuset pour une spiritualité qui soit une ressource pour chaque personne et pour la République. La mondialisation - dans son extension et ses possibles rétractations - sonne l'heure d'affirmer la contribution utile des spiritualités à la naissance d'un esprit civique et de nouveaux communs.Créé en avril 2013, en présence de Jacques Delors, et présidé par le député Dominique Potier, Esprit Civique est un cercle politique à l'interface de la société civile et des décideurs politiques. Il réunit des élus, des personnes engagées dans le mouvement social et dans le monde de l'entreprise.
Héritier à gauche de la tradition du christianisme social, Esprit Civique est ouvert à tous ceux qui, dans la diversité de leur sensibilité, de leur croyance ou de leur non-croyance, partagent la culture humaniste inspirée du personnalisme. Il s'inscrit dans le sillage de la pensée de Mounier, Levinas et Ricoeur.
Esprit Civique veut contribuer au renouvellement de l'action publique sur les combats en faveur de la justice et de la fraternité, valeur trop souvent oubliée de la devise républicaine, en donnant un sens actuel au bien commun.
Depuis notre création, Esprit Civique c'est :
- De grands débats à l'Assemblée nationale autour notamment de : Didier Sicard, Régis Debray, Guy Aurenche, Cécile Renouard, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, Marcel Gauchet, Michel Wieviorka, Cynthia Fleury, Louis Gallois, Olivier Abel, Virgile Chassagnon, Thierry Mandon, Stéphane Rozès, Patrick Viveret, Matthias Fekl, Florent Guéguen, Pierre Giorgini, Dominique Méda, Antoine Guggenheim, Gaël Giraud, Bernard Devert, Corinne Pelluchon, Elena Lasida, Alain Bergounioux…
- La parution de notre Manifeste en juin 2014.
- Plusieurs Universités populaires et cycles de travail.